Tout commence par une belle et assez longue marche à partir de la mairie de Yaoundé 7, à Nkolbisson. Quatre kilomètres environ plus loin, nous sommes au pied du mont Minloa, en nage mais pressés de grimper ; comme si le majestueux rocher disparaîtrait d’un moment à l’autre. Pourtant, il nous attend, aussi imperturbable qu’on puisse l’être quand on est de pierre comme un mont rude et beau, exigeant et fascinant que les autochtones appellent « Akok minloa », c’est-à-dire le rocher des mouches.
A bien y regarder, les mouches ont jeté l’éponge. Je n’en ai en effet pas vraiment rencontrées. On dirait que ces mouches ont abandonné l’énorme rocher noir à des grimpeurs portés par les ailes vibrantes de la détermination. Par contre, c’est la transpiration qui a failli noyer ma détermination. Abondante, parfois aveuglante, ma transpiration a retrouvé sa dignité pour devenir cette honorable eau qui est là juste pour arroser une belle performance physique.
Le mont Minloa parade, noir et imposant, tout chaud d’avoir absorbé les rayons d’un soleil déjà insistant, coiffé ça et là de touffes d’herbes sèches et de lichens, comme un crâne ravagé par la pelade. Je ne savais pas encore que c’est ce qui allait m’aider, que le rocher soit comme un crâne mal tondu, avec des touffes d’herbes éparses dont j’allais me servir pour ne pas déraper, pour freiner mon élan ou pour me propulser, et bien souvent pour me reposer.
La pente vertigineuse se dresse devant nous comme un ennemi à amadouer. Ce rocher, il faut l’amadouer ou rien, parce qu’on ne combat pas l’obstacle qui à vue d’œil peut vous achever. On l’amadoue ou on se prépare à souffrir mille morts. En faisant mes premiers pas sur la pierre, j’ai prié le mont de m’être clément, exactement comme on prie une pierre de ne pas être dure.
Nous avons donc grimpé « kougna kougna », doucement, doucement, en priant tous la montagne de pierre d’être clémente envers nous. Est-ce qu’elle connaît même la clémence eeehhh? La nature l’a faite imperturbable. Il ne me restait qu’à compter sur mes jambes, qui comptaient davantage sur moi, sur la bravoure tapie en moi et sous des rigoles de sueur. C’est comme ça que j’ai souvent fini à quatre pattes, réconfortée de ramper avec les autres, avec beaucoup plus d’élégance bien sûr. Oui, nous avons rampé. C’est ainsi que le caillou coriace de Minloa nous aime, prosternés sur ses flancs, à genoux devant son imperturbable raideur.
Comment est-ce que mes rotules et mes mollets ont vaincu le terrible caillou? Par la technique de l’énergie brûlée exactement comme on laisse la terre brûlée derrière soi. On laisse donc les plus beaux morceaux de son énergie derrière soi, on avance sans trop se demander comment on va arriver au sommet, ni comment on va redescendre. Tu vas voir devant, et pour voir devant il faut avancer. C’est là qu’on se retrouve à constater que ce qui ne vous tue pas, vous laisse comme une petite chose courbaturée, pantelante et ruisselante de sueur.
Heureusement que la vue est magnifique au sommet du mont Minloa ! Une belle récompense en somme. Là haut, on découvre qu’une petite forêt têtue squatte une partie du sommet du mont, avec de rares mais braves et robustes arbres qui défient la pierre. En contrebas, le lac Razel s’étale dans toute sa sérénité. Tout près, le sommet du Messebe tout près est lui aussi visible et appelle à être escaladé à son tour.
Quand vient le moment de descendre, on le fait le cœur léger parce qu’on s’est gavé d’air pur et de belles images. On redescend par la pente la moins raide qui est occupée par des champs.
Une fois la rive du lac Razel atteinte, un dernier regard en direction du fringant rocher de Minloa et c’est le départ non sans l’avoir remercié de s’être laissé affronter.
BEATRICE MENDO, ECRIVAINE ET RANDONNEUSE